L'enfant de l'aube

Enfant ! Tu n'appartiens qu'aux premières heures
De l'aube, tes yeux qui s'ouvrent à peine,
Entrevoient des trésors cachés sous les pavés.
Quand tu parles à voix basse, les océans s'apaisent
Et la pluie cavalière qui s'invite aux carreaux
Invente rien que pour toi, des grappes scintillantes
Qui s'écrasent sans bruit sur la vitre muette,
Va conquérir le monde pour étancher ta soif !
Et reviens-nous très vite, le printemps s'impatiente.
Et les fleurs du jardin souffrent de ton absence.

Traversée du désert

Sans cette traversée sous le signe du désert,
Tu n'aurais pas percé le mystère des dunes,
Livrées à tous les vents, tu n'aurais pas entendu
La parole glaciale des monts enneigés,
Pas plus que tu n'aurais distingué la voix attristée
Des vagues qui se brisent.
Rien de cela n'aurait été possible,
Sans ce silence, soufflet des profondeurs,
Sans cette mélopée des harpes mélancoliques,
Destinée à accueillir la muse aux yeux d'onyx.
Depuis toujours, elle habite ton cœur,
Guide ta plume hors des sentiers battus,
Reliant avec le sable et le feu de tes mots,
L'écorce rugueuse aux racines de l'être,
Le visible aux frontières de l'invisible,
Sans elle, tous les silences qui se prolongent
Ressemblent à une plongée dans l'abîme.

Chant de lumière

La force intérieure s'exprime ailleurs
Et dépasse les pleurs et tous les cris de haine.
Fluide ! Sois fluide pour rejoindre le monde
Qui désaltère, débarrasse-toi de tes semelles plombées
Qui t'empêchent de te mouvoir,
Choisis la danse dépouillée de l'âme, la danse expressive
de l'âme, sois à l'affût du moindre signe,
Vivre est une lecture à la fois patiente et quotidienne.

Une pensée pour Emile Nelligan

Je reviendrai vers toi, le cœur énamouré
Jeter des fleurs pâles et des mouchoirs brodés
Emile Nelligan dont l'ombre maintenant
Voyage à mes côtés, avec toi l'horizon
A un frisson d'abîme et ta musique tinte
Au sommet des regrets.
Je reviendrai vers toi, la plume en bataille
Frôler ton souvenir comme on donne un baiser
Le cœur dans les étoiles et l'âme au plus obscur
J'irai à ta rencontre sans hâter mon destin.
Ta lumière du soir est un chant de détresse,
Que seule l'ombre caresse d'un brin de légèreté
Emile Nelligan, te voilà qui t'enfuis
« Sur un vaisseau doré »* à l'assaut des tempêtes
Et des rêves d'infini.

La récitation

Au pays de la première fois, les ruisseaux éclaboussent
De rires, le soleil qui s'étire au fronton des nuages.
Les arbres saluent d'un mouvement de têtes,
Les promeneurs tout étonnés. Ici tout prend un air de fête.
Les devoirs ennuyeux somnolent sur la table,
A côté des livres et des cahiers ouverts.
Du fond de sa cuisine, la mère s'impatiente
Et la petite fille un instant en voyage
Reprend sagement le chemin des leçons répétant
Pour la centième fois « Le dormeur du val »
Avec une voix attendrie qui la transporte
Auprès de ce jeune soldat couché dans les glaïeuls
Jusqu'à la fin des temps.

Pays de poudre et de sang

Oh, L'aube s'avançait claire dans sa robe de lumière
Nous étions là, confondus par la beauté du lieu.
Communiant aux mêmes sensations, proches
Comme jamais, n'aspirant qu'à la fin de cette guerre
Qui nous avait déracinés jusqu'à l'exil.
Le ciel d'ici était le miroir d'un autre qui nous liait
A un pays de poudre et de sang.
Tes yeux pâles de tant de larmes reflétaient
Une plaine immense, les premières tulipes
D'un rouge pourpre et les tournesols alignés
Tels des soldats rebelles.
Nous reviendrons demain, après-demain, plus tard
Peut-être, nous reviendrons les cheveux saupoudrés
De craie, courbés mais vivants.
Nous tracerons les lignes de notre futur dans la paume
Meurtrie de nos mains.

Quelle est votre vision de la poésie?

La poésie pour moi depuis toujours c'est cette possibilité d'inventer un ailleurs, de gommer les imperfections de notre quotidien, je refuse l'idée que les poètes soient "de doux rêveurs", je pense au contraire qu'ils sont très impliqués, souvent visionnaires parfois "lanceurs d'alertes". La vraie poésie s'écrit avec le coeur et cette force mystérieuse qui nous entraîne dans un tourbillon de mots et de phrases imagées et une musique propre à chaque poète.

Marie-José Pascal