Les poèmes d'Amalia Achard

Psaume

Veux-tu poser pour moi ?
lui demanda-t-il
et il déplia son chevalet.
À la fin, sur sa toile
reposait un psaume.
Mais où suis-je ?
demanda-t-elle.
Là, dans la prière,
répondit-il.
Vois-tu, ton regard
a fait fondre toutes les couleurs
dans la nuit d'été,
et j'ai du les remplacer
par des compromis
car trop en dehors du cadre pour t'aimer
je ne pouvais peindre
ta belle simplicité
que par des soupçons
que j'ai rimé en psaumes,
trop aveugle pour discerner ta lumière
j'ai dû la chanter en louanges,
trop brigand pour ne pas
te déposséder d'un sourire
j'ai dû faire son contour en une prière
assez longue pour qu'elle contienne
ton trésor entier...

liberté

L'étoile ne connaît pas la liberté –
elle est figée dans l'infini,
l'oiseau n'est pas libre –
il ne peut pas voler au-delà du ciel,
la rivière n'est pas libre –
la mer interrompt son cours,
le rêve n'est pas libre –
le réveil l'assomme,

la liberté n'est pas libre mais enfermée dans ce mot-même
que l'humain se régale à mâcher
pensant narguer
ses propres limites.

Nuits blanches

Trop brèves mes nuits
à la paix de glaise et au silence de ciel
nuits passées avec moi-même
celle démaquillée
de toute l'hypocrisie du jour
avec les rêves de la taille de mon imagination
nuits en la compagnie de ma propre vérité
que je conteste
dans un exercice d'auto-vérification
nuits où je me parle en détail
et où je trouve enfin un équilibre psychique :
moitié démence, moitié raison
nuits où je savoure
chaque heure minute seconde
passées dans la sincérité d'une solitude
nuits déjà trop brèves
pour les partager
avec le sommeil.

Que peut apporter la poésie au monde?

Tout : émotion et sensibilité (on en a tant besoin !), dialogue, émerveillement, découverte, mise en garde, incitation à la sublimation, réconciliation... Imaginez si chaque humain lisait ne serait-ce qu'un poème par jour. Ce serait un cataclysme ! Le monde serait forcément meilleur. Si je ne le croyais pas, je n'écrirais plus, car ce serait chose vaine.

Amalia Achard

Mes oiseaux

Des oiseaux viennent picorer
aux bouts de mes doigts
toutes mes lettres imprimées
puis, rassasiés, ils s'envolent en pépiant
les poèmes que j'avais prémédités
ainsi, tous les jours, ils frappent
de leurs becs dans ma fenêtre
et dès que je l'ouvre
ils flairent comme des chiens de chasse
mes mains :
« tchip, tchip, tchirip »
demandent-ils surexcités
et pic, pic, pic, en un clin d'œil
je me vois dépouillée
de tous les vers préparés la veille.
Quand je traîne dans les bois
je les entends réciter
les poèmes picorés
aux bouts de mes doigts.

Extravagances

Combien de nous et de vous
d'amour et de haine
de beauté et de laideur
de joie et de douleur
combien de vie et de mort
de choix et d'hésitations
de pluies et de déserts
d'eau et d'assoiffés
de mots et de silence

de promesses et de trahisons combien d'argent et de pauvreté
d'écoles et d'analphabètes
de forêts et de scies
de créatures et de chasseurs
d'arrivées et de départs
d'innocents et de coupables
de paix et de guerre
combien de secrets et d'aveux
d'archives et d'oubli
de jouets et d'armes
de comblés et d'indignés
de liberté et d'interdit
combien de vols et de chutes
de sages et d'ignorants
de lumière et de ténèbres
de lois et d'injustice
d'éloges et de jurons
de questions et d'incompris
de parents et d'orphelins
mais combien de Paradis
dans cet Enfer !

Illusion

Oh, vénérable griffe
euphémisme qui peint
en couleurs de somptuosité
la chute mortelle des étoiles !

Hypocrite illusion !
Tu fais semblant de savoir
ressusciter l'espoir
à l'aide d'un lampion
aux scintillements éclatés
tu as l'air de rabibocher la lueur
des étincelles
éparpillées dans la poussière
piétinée par des pas vains !

Illusion, miroir perfide
aux eaux troubles
tu infestes la chandelle de l'âme
d'un remord assassin
et te recueilles
sur le tombeau divin
d'une flamme éteinte
nous laissant croire
que tu la rallumes !

Doutes

Ce poème
un éclat de rire essentiel
a échappé à mon contrôle
les mots auraient dû rester germinatifs
dans des cellules vivantes nourries de la chair de mon corps
et attendre la saison de l'éclosion.
J'ignore de quoi est faite ma personnalité
la plus profonde
et pourquoi la narration n'est possible pour moi
qu'en mode fragmentaire
quand dans ma vie je me sens entière
quand chaque événement se pose sagement
dans l'histoire déjà imaginée
et pourquoi j'hésite à m'imposer un contenu
à mon goût
quand on ne me demande des comptes
ni sur le possible ni sur l'impossible...
Je m'auto-exile peut-être de ceux
qui savent quand il est temps de dire « la vie est belle »
ou alors je trouve que mon point sur le i est plus estropié
que le point sur le i des autres
si ce n'est juste par peur de moi
que ma main tremble en écrivant...

Quelle est votre vision de la poésie?

Ce serait, comme le disait Victor Hugo, "voir dans les choses plus que les choses". Ou alors, arriver à convaincre le lecteur sur les mille beautés du mot tout en prenant soin qu'il se retrouve dans les vers comme un "habitant des lieux" et non un étranger, afin de réaliser cette connexion indispensable entre le poète et le lecteur.

Amalia Achard